J’ai parfois rencontré au cours de mon expérience de psychologue, des personnes qui avaient peur d’être heureuses.
Ces personnes n’exprimaient pas toujours clairement leur peur, mais disaient volontiers qu’elles se méfiaient quand elles étaient heureuses parce qu’elles redoutaient que le futur leur offre le pendant de ce moment de bonheur. Comme si l’adage n’était pas « après la pluie le soleil », mais plutôt « après le soleil, la pluie ».
À cause de cette croyance, ces personnes en venaient à redouter les instants de bonheur et à maintenir leur état de malaise comme pour ne pas provoquer un espèce de retour de bâton au cas où le bonheur arriverait. Comme si pour elles, le bonheur avait un prix c’est à dire que l’on doit « rembourser » tout bonheur par un malheur.
Et ce n’est pas que ces personnes ne veulent pas être heureuses, ni qu’elles veulent être malheureuses mais c’est qu’elles sont justes persuadées que si elles sont heureuses alors elles vont être malheureuses.
Bien sûr, on pourrait croire le contraire : que tout malheur va entraîner un bonheur, mais même si de telles personnes existent (et je suis un peu dans ce cas), la question est différente parce que cette pensée ne créé pas de malaise.
Tout problème psychologique existe quand il est cause de malaise pour soi ou pour autrui. C’est pour cela que cet article ne va questionner que le cas de la croyance négative : un bonheur entraîne un malheur.
Les croyances
Les croyances ne sont pas basées sur la rationalité ou la science. Elles peuvent provenir de ce l’on pense de l’agencement du monde, de ce que nous pensons vrai. Le dictionnaire dit qu’une croyance est » l’acceptation par l’esprit que quelque chose est vrai ou réel, souvent soutenu par un sentiment de certitude émotionnel ou spirituel. » La croyance est bien multidimensionnel et appartient à tous nos domaines.
Nous avons tous nos croyances, notre système de croyances. Et ce système sera entretenu par un biais cognitif important : le biais de confirmation.
Le biais de confirmation nous permet d’accorder plus d’attention et d’accorder une plus grande crédibilité aux idées qui soutiennent nos croyances actuelles. C’est-à-dire, nous cherchons les preuves qui soutiennent une idée que nous croyons déjà en ignorant les éléments de preuve qui s’y opposent.
La peur du bonheur basée sur la peur
Pour la peur du bonheur basée sur la peur, cela pourrait donner ceci :
Imaginons que je suis en train de conduire en écoutant une de mes chansons préférées. Je roule tranquille et je chantonne, simplement heureuse de l’instant présent. Et soudain la voiture qui me précède fait une embardée. Je réagis vite et évite de peu l’accident. Je m’arrête ensuite, tremblant rétrospectivement.
Si quelques temps plus tard, je me retrouve dans cette situation : conduite tranquille + chanson que j’aime, je vais avoir la sensation qu’il va se passer quelque chose de catastrophique.
Quelques temps plus tard, le soir de Noël, tout le monde ouvre les cadeaux. Les enfants sont heureux, je suis heureuse, tout le monde est heureux. Et le téléphone sonne. J’apprends que mon père vient de mourir.
Ainsi, peu à peu, va se former ma croyance que tout bonheur va enclencher un malheur. Le biais de confirmation me fait retenir tous les éléments qui prouvent cette idée : si je suis heureuse, il va m’arriver malheur. Alors pour ne pas qu’il m’arrive de malheur, je vais ne jamais être heureuse.
Je vais occulter tous les moments où j’ai été heureuse et où aucun malheur n’est venu casser ce moment. Parce que c’est plus simple et parce que j’ai peur.
Le plus souvent, on ne connait pas le processus qui a permis à la croyance de s’installer. C’est du conditionnement cognitif qui n’est pas basé sur du rationnel. Le rationnel dirait : regarde tous les moments où tu as été heureuse et où rien n’est arrivé ensuite ! Non, le plus souvent, on ne peut pas rationaliser parce qu’on ignore comment la peur s’est installée. Et comme ce raisonnement de peur n’est pas logique, il n’est pas accessible.
Une telle dynamique peut suffire à une personne pour évoluer vers l’évitement des occasions de bonheur parce qu’en évitant le bonheur, elle va éviter la peur, l’anxiété d’être malheureuse. La personne va de plus en plus maintenir un état de pensées négatives plutôt que de prendre le risque d’être heureuse.
La peur du bonheur basé sur la culpabilité
Pour d’autres, le bonheur s’est associé à la culpabilité. La joie s’accompagne du sentiment qu’il est impossible d’être heureux alors que d’autres sont malheureux. Comme la peur, la culpabilité peut être conditionnée par des événements de la vie.
Imaginons encore que je sorte d’un restaurant où j’ai bien mangé, bien ri, bien parlé. Je me sens heureuse et je vois dehors, allongé sur un carton, dans le froid, un homme qui dort. Je vais me sentir coupable.
Puis quelques temps plus tard, je suis en train de regarder les résultats à un examen. Je lis mon nom et je découvre que j’ai réussi l’examen haut la main. J’exulte de joie et je me retourne pour découvrir ma meilleure amie en larmes : elle a raté son examen. Je vais me sentir coupable de ressentir une telle joie par rapport à la peine qu’a mon amie.
Et de fil en aiguilles, la croyance va s’installer.
Chaque fois qu’elle sera heureuse, cette personne va se sentir coupable de l’être alors que d’autres ne le sont pas.
Et pour ne pas se sentir coupable, cette personne va éviter le bonheur. Sa croyance sera de cette ordre : « Je ne le mérite pas ».
Rien ne sert de se dire alors que mon malheur ne va pas apporter le bonheur à l’autre, que ce que je pense n’a aucun sens.
On ne peut pas supprimer la réponse apprise, mais on peut modifier la réponse, en changeant ce qu’a été appris.
Modification de la croyance négative
Le plus souvent, je travaille avec la personne en hypnose. Et, surtout avec les MAH (mouvements alternatifs hypnotiques). Mais on peut travailler sans hypnose également.
Il faut travailler sur le lien joie / peur ou culpabilité pour que le lien devienne autre chose que celui là. Cela dépend de la personne car il faut que le lien soit « parlant ». On ne peut pas plaquer une recette.
Le lien entre joie / peur ou culpabilité peut être remplacé par joie / calme par exemple, parce que la personne qui vient me voir et qui a cette croyance négative pratique la méditation.
Alors à chaque fois, qu’elle ressentira la moindre parcelle de joie, elle se mettra tout de suite en état de méditation. Si elle ne reconnait déjà plus ces états de joie parce que l’évitement au bonheur est très fort, alors il faut les créer. Par exemple en contemplant une fleur, en regardant ses enfants jouer, en écoutant une émission qu’elle aime. On travaille d’abord sur la reconnaissance de ces petites joies et on installe le lien. Puis on observe souvent que l’intensité des joies augmente en y ajoutant le nouveau lien appris.
Petit à petit, marche après marche, le lien initial va être mis de côté. Pas supprimé, simplement mis de côté parce que le lien nouveau devient de plus en plus agréable et donc de plus en plus important.
C’est le même travail que l’on fait en hypnose, sauf qu’il est plus rapidement appris puisqu’on créé en hypnose les situations de joie et qu’on incite l’émotion à lier en gardant l’importance de la personne elle même.
Rien ne se désapprend mais tout peut s’apprendre…