Dans un article récent, j’ai présenté le biais cognitif dans sa définition, en rappelant qu’un biais est une heuristique de jugement ou de raisonnement qui permet de trier, d’analyser et de mémoriser les informations mais qui nous conduisent à des erreurs systématiques.
Les premiers à les étudier ont été Amos Twersky et Daniel Kahneman en 1972, provoquant un raz de marée d’études sur les erreurs du jugement et raisonnement humains qui éloignent la pensée humaine de la théorie du choix rationnel. Ils ont expliqué ces différences en termes de méthodes heuristiques, règles simples pour le cerveau qui introduisent des erreurs systématiques.
La première heuristique étudiée est le biais de disponibilité.
Si on demande à des individus (sujets en sciences expérimentales) d’évaluer la fréquence d’occurrence de quelque chose, ceux ci répondent en fondant leur jugement sur la disponibilité des informations.
Les faits sont jugés probables parce qu’ils viennent facilement à l’esprit.
Demandez vous ou amusez vous à demander à quelqu’un de nommer rapidement un animal, une fleur, une couleur et un outil. Les réponses seront très très souvent « chien ou chat, rose, rouge ou bleu, marteau ».
Et quand il faut nommer un oiseau, pratiquement personne ne nomme la poule, car la caractéristique saillante d’un oiseau est de voler.
Cela explique le fait que dans un problème, les données les plus saillantes dans la présentation du problème ou les informations qui y sont associées en mémoire, sont plus disponibles à l’esprit et sont représentées de façon disproportionnée dans le raisonnement (voir la fin de cet article).
L’expérience suivante consiste à lire à des sujets une liste de noms, comportant 20 noms de femmes célèbres et 20 noms d’hommes peu connus. Si on leur demande de dire s’il y a plus d’hommes que de femmes, la très grande majorité répond qu’il y a plus de femmes. Ce qui est tout à fait logique dans le raisonnement humain car les noms célèbres sont plus disponibles que les noms qui le sont moins ou pas du tout puisque nous avons plus d’informations sur les gens célèbres que sur les gens moins connus.
On a tendance à surestimer l’importance des informations facilement présentes et celles qui sont particulièrement stéréotypées. Les informations antérieures servent de point d’ancrage à de nouvelles informations même si elles n’ont aucun rapport entre elles.
De même, certains phénomènes sociaux sont plus visibles que d’autres, parce que les exemples qui les illustrent ont une charge émotionnelle forte qui favorise leur remémoration, ou parce qu’ils sont en adéquation avec des croyances auxquelles nous adhérons déjà, ou encore pour des raisons plus structurelles. C’est le cas par exemple des suicides chez France Télécom qui nous paraissent plus fréquents que dans d’autres entreprises parce qu’ils sont relayés plus largement dans les médias.
Cette heuristique est simple. Elle se résume par « si je pense à ça, alors c’est vrai ou c’est important. » Elle n’est que le reflet du processus de pertinence dans la sélection d’informations.
Ce biais est essentiel en sciences cognitives parce qu’il est la source d’autres biais sur lesquels je reviendrai.
Si des informations récentes sur un évènement x a un résultat A, on pensera que ce type d’évènement produit toujours le résultat A parce que les informations sont plus disponibles à l’esprit que des informations anciennes ayant un résultat B. Si un entretien d’embauche s’est mal passé, on retiendra cet échec comme plus pertinent que toutes nos réussites passées.
Si dans nos expériences, nous avons rencontré souvent une situation x, on pensera que la situation x est une situation normale.
Les fumeurs ont une furieuse tendance à s’appuyer sur des exemples de fumeurs ayant vécu centenaire pour se rassurer et passer aux oubliettes la véracité des dangers liés à la cigarette.
On retiendra plus facilement les causes de mort par accident que les causes de mort naturelle.
Si un tel de vos amis vous dit que les contrôles de voitures sont plus fréquents quand la voiture est rouge et que c’est pour cette raison qu’il vient d’être arrêté ce matin, alors, parce qu’à l’information s’ajoute une valeur émotionnelle, vous allez avoir tendance à croire que c’est vrai. Toutes les informations suivantes le prouvant vont devenir plus saillantes à l’esprit.
C’est ce qui nous arrive aussi, lorsque nous apprenons la définition d’un mot rencontré, nous n’arrêtons pas de le trouver dans les pages suivantes de nos lectures.
Si plusieurs sources nous donnent la même information (ou une source à laquelle nous sommes émotionnellement attachée), nous finissons par penser que l’information est vraie. C’est le principe de la rumeur, des préjugés, des croyances…
C’est ce qui se passe souvent dans la recherche des informations sur la Toile. Comme pour un moteur de recherche, le principe de pertinence est vrai au vu du nombre de visites sur tel site, alors les informations répercutées par le site seront les plus présentes, les plus lues et les plus mémorisées.
Si, aux informations, le journaliste s’étend sur un drame de la vie quotidienne, comme un accident dans un escalator, on aura tendance à penser que les escalators sont dangereux.
Tout cela étant dit, on remarquera quand même que cette heuristique est efficace pour résoudre de nombreux problèmes de la vie quotidienne.
Il faut juste rester attentif aux informations mémorisées quand nous avons à donner un avis, quand nous devons prendre une décision ou résoudre un problème complexe. L’avis juste, la décision profitable, la solution acceptable n’est pas forcément ce qui nous vient immédiatement à l’esprit.
En 1930, Norman Raymond Frederick MAIER, va s’intéresser à l’interprétation de l’énoncé du problème ainsi qu’à la perception qu’en a le sujet. En effet, il pose le problème des neuf points : relier neuf points disposés en carré par quatre segments, tracés sans lever le crayon du papier. L’énoncé du problème, en tant que guide dans la recherche de solution et de résolution de problème, influe sur la difficulté du problème et par conséquent sur sa résolution.
Le biais de disponibilité nous empêche de nous détacher de ce que nous connaissons en mémoire : le carré !
Si l’on en reste à la disposition apparente des points et que l’on cherche à les relier selon la forme du carré, on bloque mentalement l’émergence de la solution.
Il faut situer cette question dans l’infini des possibles et imaginer que ces points sont au milieu d’une infinité de points absents. On peut alors ajouter deux points imaginaires qui détruit l’image du carré et nous fait parvenir à la solution que je vous laisse trouver.
hummm, j’en rajoute un à la verticale du point central et j’ai une pyramide, mais cela n’en fait qu’un seul pas deux snif.
Merci pour cette remarque. Il faut sortir des neufs points et en imaginer d’autres. On dit généralement qu’il y a au moins 5 solutions. Cela dépend de notre disponibilité en mémoire.